Accoudé contre son bureau, la tête entre les mains, Everest se massait les tempes en soupirant. L’accueil des réfugiés magiques était devenu un casse-tête après que les dortoirs de l’école de magie aient atteint leur capacité maximale. Des matelas avaient été distribués aux derniers arrivants, installés dans des classes assez proches de salles de bains communes pour que leurs occupants de fortune ne puissent bénéficier d’un minimum de confort. Mais la situation empirait, et il était bien incapable de voir la lumière au bout du tunnel. Les Fondateurs avaient voulu leur armée et ils l’avaient eu – ils devaient maintenant en payer le prix, avec Everest en tête de liste. Il était si fatigué qu’il sentait son corps s’affaisser doucement, sa respiration s’allonger…
Jusqu’à ce qu’un cri ne le fasse sursauter et qu’une douleur ne lui déchire soudain l’épaule. Surpris, le Fondateur se releva d’un bond et attrapa dans un réflexe le coupe-papier en argent qui ornait son bureau. Dans son état semi-éveillé, il mit quelques secondes à réaliser que la voix ne venait pas de son bureau mais de l’intérieur de son crâne. Un de ses protégés avait besoin de lui…
Elijah. Le sang d’Everest ne fit qu’un tour et il disparut dans une myriade d’orbes luminescentes, priant pour qu’il ne soit pas trop tard.
L’instant suivant, son corps réapparaissait à côté de celui qu’il considérait comme son fils, et il évita de justesse une boule de feu. Dans quelle situation débarquait-il ? A ses côtés, Elijah était blessé mais debout. Face à eux, deux démons ; non, trois – le dernier essayait de les contourner pour mieux les encercler. Où étaient-ils ? Il ne reconnaissait pas Seattle. Et qu’avait fait Elijah pour se fourrer dans ce pétrin ?
Ses questions devraient attendre. Maintenant qu’ils étaient cernés, le Fondateur se glissa dos à son protégé pour qu’ils puissent garder l’œil sur chacun des assaillants. Il en avait oublié le coupe-papier dans sa main, serré à en faire blanchir ses articulations. L’objet l’encombrerait pour le combat, mais il pourrait être utile à Elijah. «
Attrape », lui dit-il en guise de bonjour. Sans un regard pour le jeune homme, Everest jeta soudain le couteau en l’air – une manœuvre inutilement téméraire, sauf en la compagnie d’Elijah : ils avaient passé assez de temps à s’entrainer ensemble pour qu’il sache que son gamin saurait s’en saisir sans difficulté. Les mains libérées, il sentit son énergie emplir ses paumes de main et faire crépiter le bout de ses doigts.
Everest calculait ses options aussi vite que possible. Les entourer d’un bouclier ne servirait à rien si ce n’est repousser l’inévitable et les bloquer pendant que leurs ennemis préparaient leur prochain coup. Attraper Elijah et s’enfuir alors ? L’un des démons avait l’aura si sombre qu’il ne doutait pas qu’il s’agissait d’un démon supérieur capable de les traquer. Pas de doute – dans ce cas précis, la meilleure défense était l’attaque. «
Je ne peux pas te guérir maintenant. Est-ce que tu peux tenir encore un peu ? »
Il avait commencé à tourner, pointant tour à tour ses poings électriques vers chacun des assaillants pour les inciter à garder leurs distances. «
Essayons de voir le positif, un peu d’exercice nous fera le plus grand bien. » Mieux valait détendre l’atmosphère pour rassurer Elijah. Si son fils spirituel avait ressenti le besoin d’appeler Papa, c’est que les choses avaient dégénéré de manière incontrôlée. Mais il était là désormais, et il ne les laisserait pas toucher à un seul cheveu de son rouquin. «
J’arrive pas à croire que tu t’es laissé toucher… » ajouta-t-il pour le chamailler, tentant de cacher sa propre inquiétude derrière un masque d’insouciance et de confiance en soi démesurée. «
On attaque à attaque à trois » murmura-t-il enfin, pour que seul Elijah puisse l’entendre. «
Un… Deux… »
Il ne prononça pas le dernier mot. A la place, une rafale d’orbes électriques s’échappa de ses mains avec le bruit du tonnerre, frappant de plein fouet l’un des démons.